Une pyramide de lumière (NDE)

Dimanche 15 juillet 1979. Etat grippal, grosse fatigue et perte d’appétit. Dehors, temps estival magnifique, beau et très chaud. C’est le début de la moisson des orges.

Lundi 16 juillet. Après une nuit un peu agitée, mon état ne s’est guère amélioré, au contraire. Difficultés respiratoires au moindre effort. Je me traîne d’un siège à l’autre avec des frissons, évitant le soleil.

Mardi 17 juillet. Mon état s’étant encore agravé, Marie-Claire (mon épouse) prend contact avec notre médecin. Un voisin m’y conduit avec sa voiture et là, après un bref examen et une radiographie, le médecin constate que l’image pulmonaire est très mauvaise, comme, dit-il, lors d’une tuberculose! Il conseille une hospitalisation dans l’après-midi de ce même jour. Vers le soir, après quelques examens complémentaires, je suis transporté couché à l’Hôpital, où l’on me place sous perfusion avec un cathéter au bras gauche, afin de m’administrer un antibiotique à large spectre.

Mercredi 18 juillet. Vu mon état stationnaire, on me transporte, toujours étendu, à la clinique, un établissement spécialisé à l’époque pour le traitement des maladies pulmonaires.

Jeudi 19 juillet. Ma température évolue toujours en dents de scie. J’ai par moments des tremblements de tout le corps et je suis toujours alité, sous perfusion, dans une plaisante chambre à deux lits d’où la vue est magnifique. C’est dans ces lieux, il y a vingt ans déjà, qu’avait été hospitalisé mon grand-père maternel. Le diagnostic est maintenant connu : je souffre d’une pneumonie virale à mycoplasmes, une maladie qui se manifeste parfois chez les porcs. On m’administre un nouvel antibiotique plus spécifique pour combattre le virus. J’ai toujours par moment des tremblements non maîtrisables et une température élevée, oscillant en dessus de 40° C. Mes yeux, éblouis par la lumière d’un grand plafonnier circulaire fluorescent, préfèrent la seule présence de la lampe-veilleuse, à la tête de mon lit. Vers 21h., nouvelle vague des tremblements, plus violente que les précédentes. Une infirmière vient me contrôler le pouls et la pression sanguine. Craignant une syncope, elle appelle probablement le médecin de garde qui fait irruption dans la chambre avec une autre infirmière. Il enlève le cathéter qui provoque une phlébite à mon bras gauche, non sans avoir au préalable allumé le plafonnier de la chambre, et il réinstalle la perfusion sur une artère de mon bras droit. Ce sont mes derniers instants de lucidité et de perception des voix.

Je me trouvais bientôt, tout inondé de clarté, juché au sommet intérieur d’une sorte de pyramide de lumière éblouissante, semblable à celle de la charpente du clocher de l’église, puis acteur dans une forme de fête médiévale où j’étais le héros. Il n’y avait pas de voix, ni musique, mais une atmosphère de plénitude et de bien-être total que des mots sont bien incapables de décrire. Cette pyramide, par sa symétrie concentrique, pouvait aussi rappeler ces « mandalas » du bouddhisme et du tantrisme, mais dont je n’avais aucune connaissance à cette époque J’ignore combien de temps a duré cet état, mais, ouvrant à nouveau les yeux après ce « voyage », je voulais absolument redescendre de ces hauts-lieux. Une infirmière, gentiment, essayait de m’en dissuader et m’assurait que j’étais bien dans mon lit et qu’il n’y avait pas lieu d’aller plus bas ! Il était alors près de minuit et je m’endormis, calme et apaisé.

Vendredi 20 juillet. Après le petit-déjeuner, j’écris alors ces lignes dans mon journal de bord, à la manière de Blaise Pascal :

Grande paix. Océan de paix.

Ma température était redevenue presque normale (37°C). Mes forces et mon appétit revinrent rapidement. Les premiers jours du mois d’août, je quittais la clinique, complètement guéri, enrichi à jamais par cette expérience unique, entouré par l’affection de ma femme et celle de ma fille, qui était dans sa septième année. C’est aussi à la suite de cette hospitalisation que j’ai réalisé combien la perte d’un être cher est une épreuve pour ceux qui restent désormais seuls, alors que pour soi-même, cette arrivée dans l’au-delà est un accomplissement dans la lumière éternelle de notre « corps glorieux ».

Conclusions. J’ai acquis la certitude que toutes les religions qui évoquent cela, avec leurs mots, leur culture, leurs traditions et leurs croyances, leurs témoins et leurs « saints », parlent de cet accomplissement, de ce passage de la vie terrestre à une autre vie. Reprenant les paroles de Paul Ricoeur, je puis aussi déclarer que si la théophanie ne m’a rien expliqué, elle a changé mon regard. (1)

1) Ricoeur Paul : Finitude et culpabilité. Paris, Edit. Aubier, 1960

André (octobre 2006)